
Je ne suis qu’une modeste palombe, je vis ma vie de colombin aux confins du Kruysbos, non loin de l’Abbaye et du village de Forest. Je tiens un peu de la blanche colombe, aucunement du papegaai. Papegaai, dites-vous ? En nos contrées, on ne rencontre guère, sauf en quelque ménagerie princière, de ces cousins exotiques aux plumages colorés.
On appelle aussi papegaai, l’oiseau de bois qu’on place au sommet d’une perche. Il sert de cible aux membres des gildes. Ceux-ci tirent pour le plaisir et dans l’espoir d’être sacré roi du tir. Ils usent de l’arc ou de l’arbalète. En ces temps-ci, quand ils entendent occire leurs semblables ou des êtres qu’ils considèrent inférieurs, les humains usent d’armes bien plus massacrantes, fusils et canons.

33ème abbesse de l’Abbaye de Forest.
Petite chronique d’une abbaye, Gisèle Norro, Imprimerie communale Forest 1989
Ici, à Forest, la perche est plantée au beau milieu du Dries*, la grande prairie commune qui s’étend au sud du village. C’est là qu’ont lieu les concours. Les arbalétriers qui s’y exercent se reconnaissent comme « frères » au sein de la Gilde des Saints Sébastien et Denis.
Je ne résiste pas à vous narrer la récente déconvenue d’un frère. En cette année de Grâce 1778, ce fut la Révérende Abbesse Marie-Josèphe de Bousies de Rouveroy, qui abattit le papegaai et sacrée reine du tir. Elle déclina du reste ce titre. Néanmoins, le frère dont question ici, se rêvait roi du tir, disposé à en jouir des honneurs et à en assurer les obligations. D’être battu par une dame blessa son mâle orgueil. Au terme d’une nuit de beuverie morose, il gravit, armé de son engin et de quelques carreaux*, la Vorstsche Steenweg puis le Kruysweg*. Là, à l’orée du bois, il m’aperçut perchée dans les hautes branches d’une aubépine, visa, tira et me manqua. Prudente, je m’envolai au sommet d’un beau hêtre. Mon chasseur tira et me manqua. J’eus pu m’enfuir à tire-d’aile au sein du bois mais quelque esprit espiègle et imprudent m’incitait à poursuivre le jeu… Lorsque son dernier carreau se fut planté dans le tronc d’un vieux chêne, mon malheureux chasseur se répandit en propos que la bienséance m’interdit de reproduire ici.
Le lecteur curieux consultera utilement les chroniques locales postérieures à l’événement, afin de distinguer ce qui dans ce récit est historique et ce qui est affabulation, zwanze ou galéjade : Histoire de Forest-lez-Bruxelles, Louis Verniers, Bruxelles, De Boeck, Bruxelles 1949 pp.120-123. Pages Forestoises d’Histoire et de Folklore, Henri Herdies, 1958, pp. 163-164