Forest sous les bombes en 1944 (avec photos d’archives)

8 mai 1945 – 8 mai 2020 : 75ème anniversaire de la fin de la deuxième guerre mondiale. Hélas cette année au mois de mai, c’était le confinement et bon nombre de manifestations n’ont pu avoir lieu. Aujourd’hui le Cercle d’Histoire et du Patrimoine de Forest (CHPF) veut se souvenir (même s’il est un peu ringard de parler de cette époque). Il reste encore des témoins, non seulement ceux qui avaient entre 5 et 10 ans en 1940 mais aussi leurs enfants à qui ils ont raconté (j’en suis) leur vécu : les évacuations, les privations, les sirènes, les bombardements et leurs peurs d’enfants. Voici quelques mots sur les bombardements alliés en 1944 à Forest.
Au début de 1944, les alliés élaborent une stratégie globale pour protéger le débarquement de Normandie. Il s’agit de cibler le réseau ferroviaire contrôlé par la Wehrmacht entre Loire et Rhin pour rendre inutilisables les lignes de communication susceptibles d’amener des renforts et du matériel vers les côtes de l’Atlantique. Sont donc en ligne de mire, les gares, ponts et autres ateliers et dépôts. Il y aura des points névralgiques en Wallonie et en Flandre mais aussi à Bruxelles et notamment à Schaerbeek et Etterbeek. Forest fera également les frais de la stratégie. Ainsi par deux fois en mai 1944, des quartiers de Forest furent touchés par les bombardements alliés.
Celui du 11 mai 1944, vers la fin de l’après-midi, visait les ponts du chemin de fer de la rue du Charroi. Les frappes de l’époque n’avaient pas la précision d’aujourd’hui et les ponts ne furent pas touchés ! Mais l’usine à gaz de « la petite île » fut presque totalement détruite. Cela prit des mois pour la remettre en état. Les quartiers autour du pont de Luttre subirent de nombreux dégâts. Il y eut notamment l’école de la rue Jef Devos mais heureusement c’était un jeudi et à l’époque le jeudi était le jour de congé des enfants. Furent aussi touchés de très nombreux immeubles des rues aux alentours où les explosions et les effondrements tuèrent les civils qui s’y trouvaient. A partir de cette fin d’après-midi, les voisins des lignes de chemin de fer et des gares de triage passaient leurs soirées et même leurs nuits quand le temps le permettait, dans les parcs forestois, tant le parc de Forest que le parc Duden. C’était la sirène de la brasserie Wielemans, avec un son montant et descendant, qui prévenait les voisins de l’arrivée des escadrilles d’avions. Lorsque la sirène émettait un son uniforme, cela voulait dire la fin du danger. Chacun reprenait alors ses occupations.

Celui du 25 mai 1944 visait le pont de la rue Jean-Baptiste Van Pé. Là encore, le pont ne fut pas touché alors que la Maison communale fut criblée d’impacts. Certains forestois de la rue de Liège, rue Saint Denis, chaussée de Bruxelles payèrent de leur vie les tentatives de destructions du pont. La violence des bombardements détruisit ou endommagea de nombreux immeubles. Ainsi le bâtiment des anciennes Brasseries Borremans situé à l’angle de la rue Saint Denis et de la rue des Abbesses s’effondra. Ses greniers contenaient les milliers de pigeons réquisitionnés par les nazis chez les colombophiles belges. On sait que les pigeons ont toujours servi en temps de guerre pour transmettre des messages ; dès le début de l’occupation, les autorités allemandes obligèrent les propriétaires des volatiles à les leur remettre. Après le bombardement, on trouva beaucoup de plumes et de pigeons morts mais, pour un certain nombre d’entre eux, ce pilonnage leur permit de retrouver la liberté et de rejoindre leurs pigeonniers !

N’oublions pas encore les sinistres V1 (bombes volantes) que les nazis lancèrent sur l’Angleterre mais aussi sur la Belgique, durant l’hiver 1944/45. Elles tombèrent à Forest le 21 décembre 1944 sur les immeubles des rues Meyerbeer et de la Mutualité et le 11 février 1945 sur les avenues Molière et Albert (ainsi qu’à l’avenue Brugmann à Ixelles).

Elles étaient destinées à démoraliser l’ennemi, ralentir la production industrielle et se venger des bombardements qui frappaient les villes allemandes. Ces missiles ne causèrent que des dégâts mineurs et ne ralentirent en rien l’effort de guerre des alliés. Par contre, fabriqués par les déportés dans de funestes conditions, elles firent des victimes parmi les prisonniers.
Que pouvaient bien penser les gens de ces frappes aériennes par les alliés ? Est-il compréhensible de se faire attaquer par ses amis ? J’ai interrogé les anciens de notre Cercle. La réponse vaudra ce qu’elle vaut : « la population comprenait qu’elle participait indirectement à l’effort de guerre et que c’était la faute à pas de chance s’ils habitaient à côté d’un pont. Passé la stupeur du moment, les voisins s’entraidaient, se mobilisaient pour reloger untel ou untel qui avait tout perdu. L’état d’esprit était tout autre, l’entraide était une valeur ! Et puis on se disait que ce n’était tout compte fait que des briques (bien sûr, c’était autre chose lorsqu’un père, une mère ou un enfant était tué car la vie humaine n’a pas de prix) ».